Baromètre Posternak-Ifop - Mars 2019


Claude Posternak

 

 
 

Baromètre Posternak-Ifop.
Classement trimestriel de l’image des grandes entreprises françaises.
Premier trimestre 2019.

L’affaire Ghosn impacte fortement l’image de Renault.

Alors que l’indice d’image moyen des grandes entreprises françaises progresse de 2 points, Renault (-11) connaît un recul significatif.
Depuis son arrestation le 19 novembre 2018 par les autorités judiciaires nippones sur des accusations de malversations financières, Carlos Gohsn impacte négativement l’image de l’entreprise au losange. Cette nouvelle affaire n’est en fait qu’un nouvel épisode de la mise à mal de l’image de Renault dans l’opinion française.

Petit retour en arrière.

Le 20 octobre 2006, un ingénieur de 39 ans, se jette d’une passerelle située au cinquième étage du bâtiment principal du Techno centre de Guyancourt. Le 24 janvier 2007, c’est un technicien documentation étude, qui se suicide à son tour par noyade dans l'étang du Techno centre après son entretien annuel. Puis le 16 février, on retrouve pendu à son domicile un ingénieur. A ses pieds une lettre d’adieu. Des mots simples sans concession et sans ambiguïté, ceux d’un homme à bout de force: « Je ne peux plus rien assumer, ce boulot c'est trop pour moi, ils vont me licencier et je suis fini, je ne saurai pas faire son top série de merde à Gohsn (sic) et à Hamel, pardon, bonne chance. »

Les Français découvrent avec stupeur une facette inconnue de Renault, entreprise emblématique qui, depuis 1945, était précisément la référence en matière d’avancées sociales (3ème et 4ème semaine de congés payés en 1955 et 1962, notamment). L’indice image, qui s’établissait à 71 chute à 36. Renault dégringole de la 4ème à la 17ème place du baromètre Posternak-IFOP. S’ouvre alors pour l’entreprise de Carlos Ghosn, une crise d’image profonde et durable. D’autant que rien ne semble arrêter la vague des suicides. Le 24 février 2008, le jour même où le fraîchement nommé directeur des ressources humaines de Renault promet que l’entreprise est « sur la bonne voie concernant les conditions de travail à Guyancourt », un prestataire de services du Techno centre se donne lui aussi la mort à son domicile.

Cadences infernales, travail de nuit, pertes de salaires, pression de la direction... L’image de Renault est désastreuse, laissant percer celle d’une société inhumaine aux rythmes insoutenables, demandant toujours plus à ses employés comme à ses sous-traitants.

A cette nouvelle image, celle d’une entreprise « dure », vient s’ajouter le 24 juillet 2008 l’annonce d’un plan d’économies, reposant sur la suppression de 5 000 emplois en Europe (3 000 départs volontaires en France et 1 000 suppressions d’emploi supplémentaires à Sandouville, en Seine-Maritime)1. D’un coup, Renault cristallise les pires angoisses de la société française. La peur du chômage, mais aussi celle, plus souterraine et moins connue, de la « violence » faîte aux salariés dans l’entreprise. La sanction est immédiate. Renault connait une nouvelle chute d’image record de 56 points2.

En septembre 2008, l’indice tombe à 8.

Pour la première fois près d’un Français sur deux déclare avoir une mauvaise image3 de Renault. Pour la première fois surtout, l’électorat de gauche se désolidarise. 47% des sympathisants de gauche déclarent avoir une mauvaise image de Renault4. La rupture est historique. Elle affectera profondément les liens qui unissaient jusque là, la gauche française à l’ancienne icône de Billancourt. Elle marque de fait la fin d’une formidable histoire d’amour commencée à la Libération, lors de la nationalisation de l’entreprise en 1945.

La rupture aura des conséquences ravageuses. L’affaire dite des suicides a une telle résonnance dans l’opinion qu’il faut attendre trois ans après l’annonce du premier suicide pour que Renault entrevoie la fin de cette crise. Son indice image remonte lentement mais sans jamais retrouver les sommets.

Le 3 janvier 2011. Michel Balthazard, Matthieu Tenenbaum et Bertrand Rochette, trois cadres du Techno centre de Guyancourt, sont mis à pied. La direction les soupçonne d’espionnage. Ils auraient, contre de l’argent viré sur des comptes offshore, divulgué des informations secrètes à l’extérieur de l’entreprise. L’enjeu est de taille: les fuites concerneraient le programme de véhicules électriques. L’information tourne en boucle dans les médias.

Le 9 janvier, Patrick Pélata, numéro deux du groupe, finit par monter au créneau dans les colonnes du Monde : « Nous sommes arrivés à la conclusion que nous étions face à un système organisé de collecte d’informations économiques, technologiques et stratégiques, pour servir des intérêts situés à l’étranger ». Eric Besson, le ministre de l'industrie, parle même de "guerre économique". Et Selon Le Figaro, même la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), saisie par l'Elysée, s'intéresse de près à une piste chinoise.

Le 13 janvier, Renault porte plainte contre X, et non contre les trois cadres incriminés, pour "des faits constitutifs d'espionnage industriel, de corruption, d'abus de confiance, de vol et recel, commis en bande organisée". Pour enfoncer le clou, Carlos Ghosn en personne sort lui aussi de son silence. Sur le plateau du 20 heures de Claire Chazal, sur TF1, il assène : « Nous avons des certitudes, si nous n’avions pas de certitudes, nous ne serions pas là.» L’homme, grand stratège, connait les avantages et les failles de la communication. Ainsi que les possibilités à tordre la réalité. « La réalité de notre marque est la perception que nos clients en ont », a-t-il l’habitude de dire. Mais ce n’est pas toujours suffisant. L’homme qui avait pris soin à son arrivée de faire le tour des usines françaises et étrangères du groupe, et de rencontrer le personnel, ne sait pas à quel point la réalité va, cette fois encore, lui échapper.

Les trois cadres, eux, continuent de réfuter toute accusation.

Pendant ce temps, l’image de Peugeot et de Citroën5 est au plus haut, tandis que l’indice image de Renault rechute encore en octobre 2010, de 16 points6.
En mars 2011, plus de trois mois après le début de l'affaire, l'enquête patine. Aucune trace d'espionnage. En réalité tout est faux. Personne n’a de compte en suisse. Il s’agit d’un banal règlement de comptes qui a pris des proportions ubuesques. La direction parle alors de manipulation, et les médias ne se privent pas pour se moquer de ses approximations et imprudences. L’indice image de Renault perd de nouveau 7 points7.

Devant un tel fiasco, Patrick Pelata joue les fusibles. Il est démis en avril 2011 de ses fonctions de Directeur délégué général de Renault, (il quittera définitivement le groupe, le 16 août 2012). Carlos Ghosn est sauvé mais est désavoué par les siens. "Il y a des moments où nous sommes de nombreux chefs d'entreprise à ne pas nous reconnaître dans le comportement de certains d'entre eux", confiera Laurence Parisot, alors patronne du Medef, le 11 avril 2011. Ces paroles résonnent aujourd’hui. La part d’ombre de Carlos Goshn (mariage à Versailles, dette personnelle de 30 millions de dollars...) recouvre l’image de Renault.

1. Ce plan d’économie drastique sera précisé le 9 septembre 2008.
2. Entre les sondages de février et de septembre 2008.
3. 49% des hommes déclarent avoir une mauvaise image de Renault. Baromètre Posternak-Ipsos des 26 et 27 septembre 2008.
4. Baromètre Posternak-Ipsos septembre 2008
5. En février 2011, Peugeot et Citroën sont, dans le baromètre Posternak-Ipsos, les deux entreprises préférées des Français.
6. Baromètre Posternak- Ipsos d’octobre 2010.
7. L’indice image de Renault tombe à 33 juin 2011.